2000, c'est le nombre de places non pourvues dans les soit-disant concours ultra sélectif des écoles d'ingénieurs françaises. Certes, les écoles les plus prestigieuse, dites de premier rang, réussissent encore à faire le plein, mais les autres écoles ont le plus grand mal à attirer des étudiants. Résultats pour les candidats, les concours d'entrée ne sont plus sélectif du tout et il est moins difficile qu'auparavant d'intégrer des écoles prestigieuses. Résultat pour les étudiants : une pléthore d'offre et une pénurie de diplômés ingénieurs qui se profilent à l'horizon. Les entreprises commencent à peine à prendre conscience du problème, et surtout de son ampleur.

Les écoles d'ingénieurs sont loin d'être les premières touchées par ce phénomène. L'érosion des filières scientifiques se constate depuis des années dans les filières de la fac, avec souvent moins d'une dizaine d'étudiants dans les master de mathématiques et de physiques, soit souvent moins d'étudiants que de profs.

Alors, pourquoi cette désaffection des filières scientifiques ? Il faut à mon avis se placer dans la tête des lycéens, car c'est eux qui ne semblent pas attirés par ces filières.

Les sciences ne semblent plus faire rêver. Sociologie, Commerce, Médecine, Droit... Voilà des matières qui font le plein. Certaines sont réputées plus simples ou plus prestigieuses - même si toutes ne mènent pas à l'emploi. Les filières scientifiques souffrent d'une image besogneuse : en école d'ingénieur, il faut faire des maths et de la physique, même si des matières comme le management, la gestion de projet et le marketing sont depuis longtemps entrées dans les programmes de ces écoles.

Les maths et la physique font peur aussi aux étudiants qui n'ont pas été entrainés au lycée à manipuler des chiffres, à aligner des équations. Les maths sont comme un entrainement sportif : il faut s'entrainer quotidiennement pour acquérir de bon réflexes qui permettent d'aller vite et loin. Il faut manipuler des chiffres pour comprendre leurs mystères. Mais bon, jouer à la playstation est bien plus simple, même si on oublie bien trop souvent que sans les maths et la physique, ces objets ludiques n'existeraient pas.

Les sciences ne font plus rêver. Nous vivons tellement dans le progrès technologique constant que l'on finit par oublier les hommes qui sont derrières ces progrès. Ingénieurs et scientifiques se cachent au cœur de nos ordinateurs, au milieu de nos frigos, dans le moteur de nos voitures et même dans nos pots de yaourt. Dans les médias, ce sont bien plus souvent les méfaits supposés des sciences qui sont mis en avant : surexploitation des ressources, OGM, nucléaire, pollution. Mais cela ne serait-il pas plutôt l'effet d'une société de surconsommation ?

L'industrie fait peur. Tout le monde a dans sa famille des gens qui ont perdu leur emploi à la suite de fermetures d'usines ou de restructuration. On parle chaque jour, dans les médias, des délocalisations. Comment dans ces conditions avoir une image de l'industrie qui donne envie de s'engager dans une carrière d'ingénieur ? Il est tellement plus simple - en apparence - de devenir fonctionnaire, avec un emploi pérenne et garanti, pour un salaire qui n'est plus si éloigné de celui d'un cadre à qualifications égales. En France, 70% des jeunes souhaitent devenir fonctionnaire. On oublie trop souvent que le salaire des fonctionnaires est payé par la richesse produite par ailleurs par ceux qui produisent quelque-chose, les non fonctionnaires, les industriels. Or, beaucoup trop rares sont les étudiants et lycéens qui ont pour ambition de créer leur entreprise. L'image du patron aux dents longues et sans scrupules perdure.

Le salaire des ingénieurs a aussi trop peu été revalorisé ces dernières années. Un ingénieur en début de carrière touche environ 2 fois le SMIC. C'est beaucoup, mais peu au regard de leurs collègues des filières commerciales pour qui des variables peuvent venir gonfler la note. L'ingénieur qui s'investit gagne 2 fois le SMIC, le commercial peut se dépenser plus pour gagner plus. Ce salaire de début de carrière n'a pas été revalorisé depuis des années. Depuis le passage à l'euro, le salaire d'un ingénieur débutant est toujours resté autour des 30/32k€ brut alors que le SMIC a lui été revalorisé de 17%, parallèlement à une durée de travail qui est passée de 39h à 35h. Le gel des salaires et les horaires de travail ne sont pas non plus des mots qui font rêver. Un ingénieur débutant ne gagne pas plus qu'un fonctionnaire ayant des qualifications équivalentes (professeur agrégé ou inspecteur du trésor par exemple).

La question qui est en suspens est de savoir si les problèmes que je souligne aujourd'hui sont réellement préoccupants. C'est pour moi l'orientation que l'on souhaite donner à notre société - et à l'Europe - qui en dépend. Souhaitons nous rester dans la compétition industrielle internationale ? Souhaitons-nous devenir un grand supermarché de produits importés d'ailleurs ? Souhaitons-nous devenir un énorme musée à ciel ouvert ? Questions au combien politiques et stratégiques. Quelle vision, quelle orientation pour notre pays pour les 30 prochaines années ? La France et l'Europe ne devraient-ils pas relancer de grands programmes scientifiques et industriels, qui ont donné naissance, il y a quelques années, à Airbus, au CEA, au CERN, a Aerospatial...